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Yamna DJELLOULI

Biologiste, professeure émérite de l'université du Mans - Chercheuse au sein de l’unité mixte de recherche « Espace et Société » du Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) - France

En tant que biologiste et géographe, vous revendiquez un intérêt particulier pour la dimension sociale de l’environnement, pourriez-vous nous expliquer votre approche ?

Ce sont plusieurs décennies d’expérience, à la fois pédagogique puisque je suis professeure et, de recherche puisque je dirige des doctorants en sciences biologiques et en géographie physique et sociale, qui m’ont menée à cette prise de conscience.
J’ai également fait beaucoup de recherche sur le terrain, à travers le monde.
Cela m’a permis de voir et de comprendre que finalement, ce que nous voyons sur le terrain, ce que nous apprécions, ce que recherchons, ce que nous distinguons, ce que nous trouvons, ce que nous démontrons avec des méthodes scientifiques c’est extrêmement important mais, ces résultats ne peuvent être complétement soutenus et confirmés que lorsque nous prenons en compte la dimension de l’espace et du temps mais aussi les sociétés et les acteurs qui sont les premiers concernés.
Si nous souhaitons obtenir des réussites dans nos démarches et nos actions, c’est par les parties prenantes que cela passera.

Concrètement, comment parvenez-vous à faire ce lien entre la recherche scientifique et la prise en compte de la réalité des parties prenantes ?

Mon expérience me conduit à utiliser des méthodologies scientifiques en biologie et géographie par exemple mais, je les conjugue avec une analyse des actions sociales innovantes, observées sur le terrain. Nous parlons ici d’acteurs très divers, des ONG, des associations, des municipalités, des citoyens, des élus... Lorsqu’ils veulent réussir un projet, ils doivent se mettre autour d’une table pour partager, échanger, se concerter sur l’ensemble des paramètres d’une problématique, pour parvenir à des résultats concrets.
Si un chainon manque, la chaine est rompue.

Je précise que je parle de travaux qui sont menés au niveau des bassins versants. Cette unité géographique est extrêmement importante, car elle permet un réel regard transversal sur une situation, quel que soit le bassin versant. Petit, grand, dans un pays du Nord ou du Sud. J’ai une très grande expérience de terrain dans les pays du Maghreb, en Algérie, au Maroc et en Tunisie, mais également dans de nombreux pays européens.
Dans une démarche scientifique, on s’interroge sur les problèmes rencontrés, à cette échelle. On fait un état des lieux,  on collecte des données. Par exemple en cas d’inondation, on ne va pas se contenter de mesurer les niveaux d’eau et les modalités d’écoulement. On va aussi étudier la superposition des thématiques et des acteurs, avec leurs spécificités respectives.


Lorsqu’il y a des acteurs le long du cours d’une rivière, des particuliers comme des industriels, on va étudier leurs pratiques et ensuite évoquer avec eux des solutions pour éviter une prochaine catastrophe, en leur expliquant par exemple pourquoi ils doivent installer leurs pieux différemment sur les rives, modifier certaines installations.
On peut avoir des réactions négatives de personnes qui se disent qu’elles sont maîtresses de leur propriété. On doit donc avoir un rôle pédagogique et leur présenter les risques liés aux éléments. Une chute d’arbres et le sens des vents peuvent générer un barrage sur l’espace dont ils sont propriétaires.

Quel rôle  les élus doivent-ils jouer dans ce type de démarche ?

En droit français, un riverain possède à la moitié du cours de la rivière. Une personne ne peut rien en soit. Il faut donc amener les acteurs à réfléchir et agir,  ensemble.
Il est important qu’il y ait une municipalité qui soit consciente de son territoire. Les élus ont une grande responsabilité et quelles que soient leurs tendances politiques, ils doivent travailler ensemble.

Dans la région du Mans (France) où coule la Sarthe par exemple, c’est une association de riverains  qui a amené les élus de bords politiques différents à se rapprocher et, à travailler conjointement, plutôt que séparément comme ils en avaient l’habitude. Des citoyens qui avaient subi des inondations ont créé cette association pour faire entendre leur voix. Grâce à cette initiative, ils ont ainsi eu accès à une information et des conseils clairs et précis, sur ce qu’il faut faire et ne pas faire. Chacun a ainsi pu comprendre comment il peut apporter sa pierre à l’édifice.

Ce sont les riverains de la Sarthe qui sont parvenus à faire travailler ensemble, les élus à toutes les échelles locale, départementale, régionale et ce, avec l’association. Les réticences les plus importantes ont été rencontrées avec les services de l’état. Certains sont parfois dans une logique trop carrée. Ils proposent des solutions classiques, non adaptées au territoire.

Qu’en est-il du rôle et de la responsabilité des entreprises, une partie prenante importante, soumise à des impératifs économiques ?

Dans les bassins versants, il y a effectivement, aussi des usagers-entreprises. Par exemple, des inondations à répétition peuvent avoir un impact économique très important pour elles.


Au Mans, le travail de l’association et des élus avec les entreprises a conduit à des investissements de leur part pour rehausser ou déplacer certaines  infrastructures. Cela a limité leur niveau d’inondation et amélioré la qualité de la rive.
Ensemble, nous sommes parvenus à des décisions consensuelles. En fonction des pays, des lois imposent aux entreprises de prendre des mesures pour réduire les pollutions. Les normes 9001 et 14001 impliquent qu’elles prennent en compte des considérations environnementales dans leur production. Cela a été un grand pas en avant pour elles et, pour les autres riverains d’un même territoire.


Dans un bassin versant, où les rivières sont aussi source d’eau potable pour les riverains, les choix politiques sur la distribution de l’eau potable sont très importants.

Certaines communes ne confient pas la production et la distribution de l’eau potable à de grosses entreprises mais préfèrent gérer elles-mêmes leur eau. Ces municipalités s’équipent de laboratoires, d’usines de traitement et recrutent des professionnels du secteur. C’est un choix stratégique car comme déjà évoqué, l’ancrage territorial ainsi que la connaissance des parties prenantes sont extrêmement  importants dans la gestion de l’eau.

Pourquoi cet aspect humain et social de la gestion de l’eau semble moins avancé et plus complexe à traiter ?

Certains disent que le développement durable est une expression galvaudée qui ne veut plus dire grand-chose. Je ne suis pas d’accord, je pense que dans ce domaine, la partie sociale est aussi importante que la partie environnementale.


Moi qui ai dirigé de nombreuses thèses sur ce thème, je peux dire que sur la partie environnementale, nous avons déjà beaucoup de choses sur l’environnement. Les méthodes fiables d’étude et d’évaluation existent. C’est la partie sociale qui pose le plus de problèmes car on a tendance à oublier l’être humain, pourtant il est là pour contribuer à trouver des solutions.

Je crois que c’est un problème d’information, de communication et de concertation. Pourtant, en prenant en considération ces paramètres, on peut éviter bien des conflits.
Sur le territoire dont j’ai déjà parlé, il devait y avoir une retenue sèche sur une petite commune proche de la ville du Mans. On a assisté à une levée de boucliers du Maire et de certains riverains de cette petite commune qui avaient l’impression d’être sacrifiés, pour protéger la plus grande ville.
Aujourd’hui, toutes les parties prenantes ont intérêt à réfléchir plus globalement. Il faut faire preuve de solidarité territoriale. Ce concept social a fait son chemin mais, il faut sans cesse expliquer et être pédagogue avec tous les acteurs.


La solidarité territoriale, c’est savoir partager la ressource.  
En ce moment, je travaille sur le projet européen COMICC, sur l’adaptation au changement climatique au niveau des bassins versants. Dans ce projet, mené avec des chercheurs autrichiens et allemands, je suis responsable de la partie française et plus précisément, de la zone méditerranéenne composée de l’Algérie, de la Tunisie et du Maroc.
Je travaille donc surtout sur des zones arides et semi arides. A l’avenir, cette région sera celle où l’on rencontrera les problèmes d’accès à l’eau les plus importants, sur la planète.  
Le changement climatique va générer une très forte amplification du manque d’eau douce.
Face à cela, il va falloir que les sociétés trouvent des solutions et mon travail est de trouver des solutions d’atténuation et d’adaptation.  

Comment passer d’une consommation quotidienne d’eau de 100 litres à 80 ou 50 litres pour boire, se nourrir, conserver une bonne hygiène ?
Actuellement, nous faisons les enquêtes sur le terrain avec les populations locales concernées.
Ce travail est mené avec des collègues scientifiques rattachés à des laboratoires locaux, des doctorants, des étudiants. Nous ferons une enquête qualitative auprès des élus et une enquête sociale et économique, auprès des familles, des agriculteurs, des éleveurs.
C’est intéressant de constater que certains ont une conscience très précise de la situation. En revanche, d’autres revendiquent de vivre dans l’instant présent et ne souhaitent pas se projeter dans l’avenir, même à court terme.
Notre rôle en tant que scientifiques sera certes de faire des constats, mais aussi de tirer la sonnette d’alarme. Une fois nos recherches terminées, sur chaque territoire étudié, nous organiserons un grand rassemblement avec toutes les parties prenantes pour leur transmettre les expériences des uns et des autres. Il est important aussi de restituer et partager le fruit de nos études et de nos recherches. La responsabilité des scientifiques se situe là, aussi !

En quoi un réseau comme le RIOB pourrait contribuer à valoriser ces dimensions sociales et économiques de la gestion de l’eau ?

Je connais et je participe à des réunions du RIOB, depuis 10 ans environ. Ce qui me parait très intéressant, c’est que le RIOB est un réseau d’acteurs. Il n’y a donc pas d’enjeux politiques très forts.

Les gens y participent pour partager leurs expériences, leurs interrogations, leurs constats, les outils qu’ils ont créés. Tout le monde peut donc développer ses connaissances dans ce réseau.


Lors des différentes tables rondes des Conférences, je pense que le RIOB devrait aborder et valoriser de façon encore plus prégnante les dimensions sociales et économiques de la gestion de l’eau par bassin. Il faut rendre ces dimensions encore plus visibles.

Les scientifiques ne doivent pas avoir honte de parler de ces aspects car on fait la science avec les êtres humains !

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Source

Interview réalisée lors de la Conférence EURO-RIOB 2019 – Du 17 au 20 juin 2019 à Lahti (Finlande) - © RIOB 2019